Série : Pipes à insert
Encore une pipe à insert de Tonni Nielsen dans cette série des pipes démontables, cela n'est-il pas donner une importance exagérée à ce Viking exilé aux Etats-Unis ? Il faut savoir que cette pipe correspond à la période "classique" du pipier, période qu'il a dépassée aujourd'hui. Une des différences entre un excellent artisan et un artiste est que le second ne se contente pas d'exploiter un "truc", de décliner jusqu'a son épuisement une trouvaille, mais de chercher et d'innover sans arrêt. Dans un autre article de ce chapitre j'ai montré comment Tonni Nilesen fait usage d'essences végétales jamais vues sur une pipe. Dans cet article je tenterai de montrer comment son imagination et sa représentation de ce que devrait être un pipe, est à l'oeuvre.
Rassurez-vous, je ne m'étendrai pas plus que cela sur le talon qui fait de cette pipe à insert la seule pipe de ce type possédant l'appendice. Cette petite excroissance qui était jadis l'apanage des pipes en terre, donnait au fumeur une prise pour lui éviter de se brûler les doigts. Dans le cas d'une pipe à insert dont l'enveloppe extérieure reste relativement tiède, l'utilité de cet accessoire est anecdotique. Mais il est indéniable qu'ici ce talon accroche le regard et cela d'autant plus que le pipier l'a placé exactement à la convergence des veines dans la Bruyère. Un nombril.
En y regardant de plus près, on s'aperçoit d'autres éléments tout à fait remarquables. Le tuyau, par exemple, semble être en ambre.
En fait, il s'agit d'une matière reconstituée à base de poudre d'ambre et d'un polymère acrylique, fondus ensemble et refroidi sous forme de blocs. Ce bloc est ensuite taillé à la main pour obtenir un tuyau qui mesure ici 16 cm. Il faut savoir que cette matière est relativement difficile à travailler, et arriver à une telle dimension est une véritable prouesse.
Mais vous n'êtes pas au bout de vos surprises. Jetez un oeil sur l'insert. Avez vous noté le détail qui tue ?
Non, il ne s'agit pas du drôle de petit téton qui marque le perçage. La chose est bien plus exceptionnelle : il n'y a pas de joint d'étanchéité entre l'insert et le corps de la pipe, pas de liège, pas de joint torique. Tout juste un profil en escalier qui optimise les zones de contact. Inutile de dire que cela demande un travail d'une rare précision.
Je vous ai réservé le meilleur pour la fin : le rapiéçage !
Lorsqu'on entreprend de réaliser une pipe dans un ébauchon on ne peut savoir ce qui se cache dans la masse du bois. La racine de Bruyère (le broussin) est une matière hétérogène qui peut cacher des inclusions de sable, des poches d'air, des fissures ou des imperfections que le pipier découvre parfois au dernier moment, pour son grand malheur. Je décris dans l'article intitulé "Autodafé" ce qui peut se passer dans ces cas là. Ce qu'a fait Tonni Nielsen n'y est pas reporté. Le recours au "patch" témoigne à la fois de son pragmatisme et d'une posture peu banale en comparaison d'une recherche hystérique de la perfection chez les altigradistes (1).
En ce qui me concerne j'ai toujours estimé qu'une petite imperfection n'est pas rédhibitoire. Tant que sa taille et sa position ne nuisent pas aux qualités de fumage de la pipe j'accepte volontiers ces caprices de dame nature. Il en est des pipes comme des êtres humains. Quoi de plus ennuyeux qu'une Vénus parfaite, quoi de plus troublant qu'un grain de beauté sur une paire de fesse ?
Notez bien que la rustine est disposée de manière à être vue. Notre artiste aurait pu choisir un morceau de bois qui se confonde au mieux avec le grain du fourneau, il aurait pu l'orienter selon le mouvement général du veinage. Rien de tout cela. Il décale la retouche pour la mettre en valeur.
Inutile de préciser que ce patch est en surface et qu'en aucun cas la pièce ne traverse l'épaisseur de la paroi. Dernière remarque, enfin. Cette pratique aurait été bien plus délicate sur une pipe conventionnelle dont le bois du foyer est en contact direct avec la source de chaleur. Ici, le corps de la pipe n'est après tout qu'un containeur pour l'insert et il est en cela bien moins soumis aux grandes variations de température.
Après ces quelques considération, vous conviendrez que je ne pouvais pas faire l'économie de mentionner une pipe dont la véritable originalité ne réside pas, comme on pourrait le croire de prime abord, dans un insert ou dans son talon mais bel et bien dans des recoins très discrets.
Nomenclature | | Dimensions | | Valeur |
| | | | |
(Drakkar) (Une étoile) Handcrafted by Tonni Nielsen | | Long : 24,3 cm Ø int. foyer : 2,2 cm Haut fourneau : 7,6 cm Poids : 125 g | | 389,00 € (Estate) |
(1) Altigradistes : néologisme désignant une classe de fumeurs de pipe qui portent leur intérêt essentiellement sur les pipes hight grade (haut de gamme), faites entièrement à la main dans une Bruyère exceptionnelle.
Autres pipes de Tonni Nielsen sur ce site :
Cornouiller et Myrte
Le beau Viking