Le brûle-gueule a mauvaise presse chez les fumeurs de pipe avertis. Comme son nom l'indique cette pipe courte provoque des irritations sur la langue. La proximité entre lieu de combustion et de dégustation ne permet pas un refroidissement acceptable de la fumée. La langue fleurie Outre-Rhin voit plutôt en ce genre de pipes des "chauffeuses de nez" (Nase Wärmer).

Malgré ces défauts majeurs, la plupart des fabricants de pipes industrielles proposent au moins un modèle de ces instruments de torture. C'est que la bougresse montre aussi quelques avantages ! Sa forme ramassée et donc peu encombrante dans les poches en font la pipe idéale pour le randonneur, le pêcheur ou le fumeur à la sauvette.

Les marques qui ont commercialisé des brûle-gueules gainés de cuir se comptent sur les doigts d'une main, mais en pratique ce sont Brebbia et Big-Ben qui tiennent, et de très loin, le haut du pavé dans ce domaine étroit. Le plus étonnant dans cette affaire est que ces deux marques n'ont quasiment pas distribué d'autres modèles de pipes gainées (1).

La "GO-GO" est l'unique pipe gainée qui n'a jamais existé chez Brebbia.

La marque hollandaise Big Ben a jeté sont dévolu sur son fameux modèle "PIPO" pour en faire sa pipe gainée de prédilection...

... et l'a déclinée dans des gammes de cuirs variés avec des tuyaux droits ou courbes.

Contrairement aux italiennes, les hollandaises se prévalent d'un petit raffinement : elles ne montrent qu'une seule couture dissimulée sous la pipe. Cette subtilité est techniquement possible par la surface relativement réduite à couvrir dans ce cas.

Pour compléter cette "histoire d'O" et conclure ce survol, il faut mentionner la marque Savinelli et son brûle-gueule "LOLLO". Cette marque a, contrairement aux deux précédentes, diffusé bien d'autres modèles de pipes lovées dans du cuir (2).

Une fois n'est pas coutume : les deux pipes dans cet article proviennent de ma collection personnelle. Je les ai réunies ici pour leur forme caractéristique. La squat bulldog (1) est en effet une forme que j'affectionne particulièrement. Ajoutez à cela un gainage peu courant et les conditions pour vous être présentées étaient réunies.

Je ne m'étendrai pas plus longtemps sur les avantages esthétiques de cette forme classique, ni sur la petite contenance de leur foyer qui me convient parfaitement. Bien qu'ayant toujours prétendu qu'un tuyau saddle bit se mariait mieux avec cette forme à tête écrasée, j'aime leur allure.

Leur charme réside essentiellement dans le cuir qui les enveloppe. Vous avez sans doute reconnu sur la brune une véritable peau de crocodile. Notez dans l'illustration les points minuscules qui marquent l'attache de l'écaille osseuse. Mais votre sagacité n'est pas partagée par les personnes qui fréquentent habituellement le fameux site d'enchères en ligne. Tout le monde n'y a vu que du feu : une pipe gainée cuir de plus, dans un bon état de conservation, certes, mais personne n'a apparemment apprécié le caractère exceptionnel de l'habillage. L'aubaine !

Quant à la noire, cela fait bien trois années que je la fume avec grande satisfaction. Au contraire du crocodile dont le cuir reste relativement dur au toucher, celle-ci est vêtue d'une peau très tendre dont j'ignore totalement l'origine.

Cela ne ressemble à rien de ce que j'ai vu sur le dos des pipes gainées. Le cuir s'est légèrement rétracté par endroit mais les coutures restent solides.

A l'évidence ce n'est pas du porc, encore moins du lézard ou de l'autruche, la vachette me semble exclue. Ayant connu les shorts cyclistes garnis de daim, aux endroits sensibles, je peux affirmer qu'il ne s'agit pas non plus de ce cervidé. De l'agneau, de la gazelle peut être ? Inutile de vous dire qu'au plaisir de l'allumer vient chaque fois s'ajouter celui de la tenir, de la palper, de la caresser.

Sachez simplement que chaque fois qu'une pipe Squat Bulldog de la marque Longchamp sera mise aux enchères, vous me trouverez sur votre chemin.

La forme de pipe communément appelée "Prince" se caractérise par une tête très ronde, quasiment une sphère. Même si Dunhill n'a pas inventé cette silhouette très facilement reconnaissable, c'est néanmoins la marque londonienne qui lui a définitivement donné ce nom.

Il faut remonter dans les années 1930 pour expliquer cette appellation. Le Prince de Galles qui allait devenir pour quelques mois seulement (1936) le roi Edward VIII, était un amateur de pipe et de bons tabacs.

Il fréquentait assidûment le 48 Jermyn Street à Londres, la Mecque de la pipe, autant pour y acquérir ses pipes que pour s'y pourvoir en tabac. Il y a d'ailleurs emmené le Duc d'York des que celui-ci était en age de fumer une pipe. Ces bonnes habitudes se sont hélas quelque peu perdues, même dans les meilleures familles semble-t-il.

Pour faire court, notre Prince de Galles était un sacré client qui était allé jusqu'à donner en 1921 les honneurs d'une "Royal Warant" à la marque Dunhill et en particulier à ses tabacs. La collusion entre Dunhill et les Windsor valait bien qu'on dédie une forme de pipe - la Prince - à celui qui abdiqua du trône en décembre 1936 pour les beaux yeux de sa belle. Le nom est resté depuis.

J'ai rassemblé dans cet article quelques pipes gainées de cuir qui sont des "Prince" de diverses marques. A tout seigneur, tout honneur, j'aurais bien voulu commencer cette revue par une anglaise. Malheureusement, je n'ai rien trouvé dans mes cartons pour faire justice à nos amis outre-Manche. J'espère qu'ils ne m'en tiendront pas rigueur.

Commençons par une belge

Pipe n°1 : Hilson

Puis une américaine

Pipe n°2 : Ivan Ries & Co

Pour finir quatre marques françaises :

Pipe n°3 : L'Aiglon

Pipe n°4 : Neptune

Pipe n° 5 : Longchamp

Pipe n° 6 : Ropp

On remarquera que le tuyau des "Prince" peut être droit ou légèrement courbe. Mais dans tous les cas ce sont des pipes équilibrées qui ont l'avantage de se lover merveilleusement dans la paume de la main.

On a parfois du mal à comprendre ce qui motive certains pipiers dans la conception de leurs modèles. Au concours des laiderons celle-ci remporterait à ne point en douter la "savate d'or".

Laissons de coté un moment son état de conservation qui est plutôt pitoyable et interrogeons nous sur ce qui a pu arriver a cette pipe qui semble atteinte de peste bubonique ou de ... syphilis.

Pour accentuer l'impression de pathologie infectieuse, le pipier n'aurait pas pu trouver mieux que de la gainer de cuir. On sent véritablement l'augmentation du volume des ganglions sous la peau et l'usure du cuir rend la chose encore plus réaliste.

Le plus étonnant dans cette histoire est la complexité d'un tel gainage qui n'a pas fait baisser les bras à l'inventeur de notre monstruosité. Faire épouser les irrégularités de la Bruyère par la peau de porc est à l'évidence moins immédiat que de garnir une surface bien lisse. Cela témoigne d'un acte prémédité qui ne laisse pas de place au hasard.

Il y avait donc bien chez cet artisan la volonté délibérée d'arriver à ce triste résultat. Pour quelles raisons obscures ? S'était-il posé un défi ? Etait-il mu par une recherche de l'originalité à tout prix ? S'agissait-il d'un être malade exorcisant ainsi ses souffrances ? Un maniaque pervers ?

Toujours est-il que celui qui l'a achetée n'est pas très clair non plus.

Parler dans le cas qui nous interesse d'une "pipe pas comme les autres" est un euphémisme. Il s'agit d'un modèle de pipe gainée rarissime.

Le mariage du cuir et du bambou est pourtant tellement assorti que je m'étonne de ne l'avoir vu que deux fois dans mon existence. Alors que les traces de ma première rencontre avec ce couple ne se trouvent plus que dans ma mémoire, vous avez la chance de pouvoir juger par vous-même de cette union par les illustrations que j'ai, cette fois ci, conservées préciseusement.

Plusieurs signes indiquent que cette pipe n'est pas restée au fond d'un tiroir, et qu'il s'agit tout au contraire d'une favorite qui a accompagné son propriétaire dans toutes ses campagnes. Elle est burinée par les outrages du soleil, elle a vécue au grand air.

En témoigne la patine jaune d'or qu'a pris le bambou et l'usure du cuir sous la transpiration du fumeur. Mais malgré ces rides, on sent bien qu'elle a été bichonnée : pas de cicatrices profondes, pas de marques de brulures, des coutures irréprochables, tout témoigne de soins constants, sans doute sous des latitudes exotiques, des climats hostiles.

Cette pipe unique provient de la collaboration entre la marque britanique Merlin (Cadogan group) et la maison Amboseli cise en Tanzanie (ex-Tanganyika), les deux pieds dans les fameuses carrieres d'écume de mer. Cela pourrait expliquer son petit coté colonial :

Ambiance "Dr Livingstone, I presume?"

Il est vrai qu'on peut être assez critique sur la qualité de l'écume de mer africaine et encore plus sur les pipes garnies d'écume reconstituée. Mais ces arguments-là ne tombent-ils pas face au charme que dégage cette vieille dame ?