Il n'est pas si rare de voir des artisans, désireux d'attribuer à leurs pipes une plus value, incruster dans le bois de Bruyère des pierres précieuses, semi-précieuses ou, plus simplement, des cailloux du Rhin. On serait alors en droit de se demander s'il est vraiment raisonnable de consteller un bois bien choisi de tels ajouts au risque de la surcharge. Les motifs de notre essence méditerranéenne sont dejà en soi une source d'admiration sans arrêt renouvelée et les paysages délicats dessinés par ses fibres sont bien suffisants pour nous enchanter. Cette pratique me semble donc difficilement compréhensible.
Il est cependant quelques cas pour les quels le recours aux pierreries sur les pipes en bois est parfaitement excusable. Lorsque la gemme fait sens, qu'elle s'intègre au point de se fondre dans l'objet, quand elle est là pour nous apporter une information plutôt qu'augmenter artificiellement la valeur marchande de la pipe, alors je veux bien jeter un oeil bienveillant sur ces pipes "enrichies".
Parmi les nombreuses candidates du monde minéral susceptibles d'orner une pipe, il y en a une pour qui j'ai un faible particulier : le rubis.
Sans doute est ce parce que sa couleur chaleureuse se marie à la perfection avec celle de la Bruyère. Sans compter que la pierre des Maharajas sait se faire bien plus discrète que le diamant qui inonde par ses éclats et fait pâlir tout ce qui le côtoie. Pour tout dire, le rubis est une des rares pierres précieuses qui ne met pas la beauté du bois au second rang, à condition, bien sur, d'en faire un usage pertinent.
Les trois exemples qui vont suivre n'ont d'autre ambition que de donner un aperçu de la juxtaposition du rubis et de la Bruyère. Les deux premières démarches (Dunhill et Amorelli) se ressemblent et associent le travail d'orfèvre à celui du pipier alors que le troisième rubis (Ser Jacopo) entre plus modestement dans une approche de l'ordre de la signalétique.
Rubis # 1 : Dunhill
L'oeil rouge du serpent (1) d'argent accentue son coté maléfique
Dans la finition "Dress" des pipes Dunhill, les motifs du bois ne sont plus visibles et la concurrence entre la beauté du bois et celle du rubis n'est plus de mise.
Voir les détails de cette pipe Dunhill ici.
Rubis # 2 : Amorelli. (L'oeil de l'Inca)
Le rubis est incrusté sur un masque de rapace en or qui couvre partiellement un visage humain. Là encore le rubis tient la place de l'oeil et il est accompagné de sept diamants disséminés un peu au hasard des plumes du volatile. On ne perdra pas de vue que Salvatore Amorelli possède une formation d'orfèvre. Cela peut expliquer cette propension à en remettre une couche.
Voir les détails de la pipe Amorelli ici.
Rubis # 3 : Ser Jacopo. (Della Gemma)
Dans ce cas il ne s'agit plus de souligner une décoration de la pipe mais de désigner une série bien spécifique à la marque, les pipes "Dalla Gemma". Emeraude, Grenat, Saphir et Rubis enchâssés sur le tuyau dans un chaton en or caractérisent cette ligne de pipe haut de gamme du pipier transalpin.
Voir les détails de la pipe Ser Jacopo ici.
En somme, les trois pipes dans ce billet s'en sortent plutôt bien. Leurs artisans ont su éviter (pour ces modèles, du moins) les pièges de l'association de deux matériaux nobles : les laisser se confronter mutuellement ou laisser l'un servir de faire-valoir à l'autre. Mais cela n'a pas toujours été le cas chez ... Amorelli.
(1) Apres le serpent en 2005, Dunhill a réalisé sur le même principe des yeux de rubis des pipes ornées d'un dragon (2006) et plus recemment d'un tigre.